La Phénoménologie Critique en tant que fondement des Sciences (5)

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La Phénoménologie Critique en tant que fondement des Sciences - cinquième partie

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E. Élucidation du Pourquoi de l'ouvrage

Référons-nous au titre, quelque peu arrogant - il s'en faut de peu que les caractères d'imprimerie ne rougissent de tant d'impudence - : « La phénoménologie critique en tant que fondement des sciences ».

Rien de plus clair : l'auteur de ces lignes cherche à poser la phénoménologie critique en tant que doctrine ou fondement des sciences - il aurait fallu écrire : de toute science possible.

Quelques précisions s'imposent quant à la nature de cet ouvrage.

Il ne s'agit pas d'un exposé systématique de la phénoménologie critique et de ses ambitions, parataxis oblige, mais plutôt de la position de fragments, d'idées directrices, de principes, devant mener droit à la phénoménologie critique en tant que fond.

Cet ouvrage assume en outre le rôle d'une propédeutique philosophique : il déblaie et prépare le terrain en vue d'un exposé plus systématique ( second volume ).

Cet ouvrage possède, finalement, un caractère programmatique, puisqu'il contient, sous forme de programme - le programme des tâches futures, très nombreuses, de la phénoménologie critique en tant que « discipline de fond » - notre doctrine en son entier.

Répétons-le : il ne s'agit pas de l'exposé systématique de la phénoménologie en tant que fondement des sciences ; et encore moins d'un exposé systématique de l'organon ( le complexe des sciences pures éidétiques et empiriques ) qui doit en procéder.

Nous dessinons à même le cadre de porte de ces pages les contours du canon de toute science possible. Mais pourquoi donc vouloir poser les idées directrices d'une discipline telle que la phénoménologie critique en tant que fond, en tant que chemin vers le fonds ? A quelle fin ? N'avons-nous rien de mieux à faire ? Assurément, il est des tâches plus urgentes ? Nous sommes pressés de nous justifier. Voudrions-nous, verrue universitaire, croûte « intellectuelle anti-intellectuelle » que nous sommes et ne cesserons jamais d'être, à coup d'éclairs de pensée élevés et d'idées graves et géniales, refonder les sciences par la voie phénoménologique - et que l'on prenne la mesure de l'énormité de cette prétention - pour le simple plaisir de les refonder, par pur caprice sceptique ? Avons-nous cette prétention ? Mais quelle est donc cette lubie ! Les sciences constituées ne sont-elles pas « assez fondées » et assurées en leur état actuel ? Avons-nous la prétention, en tant que nous désirons fonder encore une fois le système des sciences constituées, d'être plus « scientifiques » que la science elle-même ? Le sublime « intellectuel anti-intellectuel » que nous prétendons être semble avoir poussé trop loin l'audace.

Qu'il nous soit permis de procéder en quelques lignes à l'élucidation du pourquoi de l'ouvrage. Et nous ne pourrons répondre à cette question - pourquoi ? - qu'en procédant à une série de « prolepses », d'anticipations.

Réitérons la question à propos de l'écrit et ce faisant rendons-nous plus attentifs à sa « fin » : pourquoi cet ouvrage ?

Il semble que nous ayons perdu tout rapport concret avec les objets du « monde de la vie », avec le « digne-de-question » ( das Fragwürdige ).

Suite au coup de tonnerre cartésien, nous ne sommes plus en mesure de nous rapporter concrètement à ou vers ce qui est digne de question en sa manifesteté ( in das Fragwürdige seiner Offenbarkeit ).

Notre « Parole » continuellement élude la nécessité d'une rétroversion vers le réel dans sa concrétude, sa densité, sa consistance objective. Nous sommes hors d'une quelconque entente. Ce que sont les objets en eux-mêmes se révèlent être pour nous hors de portée.

Il sont hors de portée, les objets, en outre, puisqu'il s'avère que nous les acceptons immédiatement à partir de l'à-peu-près intelligible que l'intelligibilité habituelle ou autrement dit, l'être-dans-la-moyenne de notre propre langue leur prête à l'avance.

Combien il serait utile de procéder à une description sommaire, en termes phénoménologiques et psycho-systématiques, de ce progressif « détachement » des représentations, de ce mouvement d'éduction ( e-ductio, littéralement : sortir de ).

La parole, non-ancrée dans le réel en sa consistance objective, se tourne finalement vers elle-même, tourne en rond autour d'elle-même ; le viser-soi-même de la parole procède d'un « manque de base ».

Nous sommes entourés d'objets mais ne saurions affirmer avec certitude que nous sommes « au fait » de ce qui nous entoure. « Il ressort » du fait que nous ne sommes pas ou plus en phase avec l' « entour » que nous entretenons - et le plus souvent nous nous en satisfaisons - une relation ignorante, faussée aux objets. Cette relation ignorante, faussée, cette déchéance ou chute au sein des objets ( Verfall ), suite nécessaire d'un oubli de la vérité des objets au profit d'une invasion de l'entour non pensé dans son essence, est aujourd'hui notre vérité. Cette idée de la vérité est un vivant témoignage des ténèbres qui caractérisent cette époque de détresse intellectuelle éclairée au néon, cette époque trouble en jeans moulants et aux dents trop blanches.

Du fait que nous ne sommes pas ou plus en termes, bons ou mauvais, qu'importe, avec l'entour, du fait de l'absence d'un rapport véritable et concret aux choses, du fait que notre monde se résout ultimement en inconnues, en indéterminités, du fait que nos idées n'adhèrent plus au « monde de la vie » ( lebenswelt ) ou, comme l'affirmait Antonin Artaud, « à la vie » ( Le théâtre et son double ), nous nous révélons être des « étrangers » parmis des objets présupposés connus mais non connus, devenus pour nous « familièrement étranges », des apatrides ou « sans patrie » exclus du sein de ce qui nous est le plus proche, le plus « propre ».

Ausgestossen aus der Warheit des Seins - exilés de la vérité de l'être.

Il faut comprendre qu' « être » ici n'est pas un concept « métaphysique » ou une notion « existentiale » mais un concept d'ontologie matérielle. Poussés hors de la patrie, du Vaterland, nous ne saurions même affirmer avec un degré de certitude suffisant ce qu'est un objet. Voilà aujourd'hui où nous en sommes.

Et bien évidemment, hors de la vérité des objets, le sujet lui-même s'avère problématique, si l'on suppose avec Platon qu'une âme qui ne comprend pas ou plus la vérité en général ne peut prendre figure humaine, c'est-à-dire se constituer en tant qu'ipséité:

« Car une âme qui n'a jamais vu la vérité, c'est-à-dire qui ne comprend pas la vérité en général et comme telle, ne pourra jamais prendre figure humaine [ se constituer en tant qu'ipséité. N.D.A. ], car l'homme doit, conformément à son mode d'être comprendre l'étant en l'abordant dans l'optique de l'essence. »

La pensée, et au premier plan l'entreprenante pensée scientifique, constamment préoccupée de s'ôter à elle-même, avec le succès que l'on sait, toute possibilité d'accès à la Pensée, se fourvoie constamment dans l'erreur et l'illusion.

Certaines sciences, purs produits d'une naïveté de niveau supérieur, ne sont que des modes ou actualisations de ce fourvoiement dans l'erreur et l'illusion, de cette errance, de cet exil hors de l'être. C'est bien la raison pour laquelle, actuellement, une inquiétude étrange parcourt les sciences.

L'exil hors de l'être ( l'absence d'un rapport véritable et concret aux choses ) est le seuil au-delà duquel la science dégénère en logique de l'apparence ( Kant ), entendue comme « art sophistique de donner à son ignorance, et même aussi à ses illusions ( Blendwerken ) préméditées, l'apparence de la vérité, en imitant la méthode de profondeur que prescrit la logique en général et en se servant de la topique de cette science pour colorer les plus vaines allégations ».

Mais cette profonde ignorance quant à la « nature » de l'entour, des objets, ne semble pas poser problème. Au contraire. Le pensiero debole contemporain s'en accommode avec un sourire. Cette ignorance, laquelle donne suite au « chuter au sein des objets » ( Verfallen ), se voit hissée au rang de « savoir » : ne nous prouve-t-elle pas par là à quel point elle s'ignore en tant qu'ignorance ?

Cette ignorance qui s'ignore, en tant qu'elle n'est pas source de désarroi pour nous, se révèle être le plus grand désarroi de la Science.

Pour maints « exilés », cette ignorance bien spécifique, prodigue en phraséologie bestiale, se renverse en source de distinctions, de joies inépuisables. C'est sur le sol de cette ignorance inavouée que nous osons bavarder, c'est-à-dire ne rien dire, ne rien dire sans fin et sans jamais rougir au sujet de la totalité des objets du monde connaissable, au moyen d'une langue qui, ayant subi les sévices du pédantisme grossier des « sciences de la communication » et lancée tête première à travers le moulin des procédés de la « communication » scientifique, en est venue à sonner « creux », et avec laquelle - là aussi - il est devenu impossible d'entretenir un rapport concret.

Tout Verbe qui d'un « dehors » chercherait à mettre en doute les sublimes prétentions du bavardage scientifique est déclaré d'avance suspect et non avenu.

Aveugles et sourds face aux objets du monde empirique, noyés dans notre orgueil, nous avons perdu la parole.

Nous ne saurions être plus éloignés de quelque chose comme une parole sur les objets du monde de la vie. Et en effet, la plupart du temps, rien n'est Dit « à leur sujet ». L'ignorant, le « perdu », l'exilé, l'apatride, ne saurait rien Dire au sujet de l'entour. Il n'est pas a priori exclu que certains fruits de ce bavardage aux gros sabots, de ce rien-dire incessant sur l'étant puissent faire partie, comme par hasard - on n'aura pas fait exprès -, de la sphère de l'explicitation totale ou partielle d'une région d'objet particulière et puissent servir de matériau en vue de la constitution d'une véritable scientia de omnii rei scibilis. Mais nous constatons que, le plus souvent, les fruits de ce bavardage n'ont, pas aucune valeur significative ou mieux dit, aucune validité, mais simplement une validité limitée.

Toute science digne de ce nom, au contraire, toute science en tant qu'elle est science, et non Dire creux et vide, enthousiasme en tant qu'intuition intellectuelle de l'entour et saisie directe de l'absolu ( Schwärmerei ), tarte à la crème, plaisanterie ou Spiegelfechterei, pantalonnade se donnant des airs d'importance par voie de systématisation pédante, cherche, subséquemment à la mise en question du sens et de la validité de toute production théorique non fondée sur une saisie rigoureuse de ses objets et des concepts, modes de judication et des méthodes nécessaires à une entente de ces objets, à poser des jugements « à l'épreuve des bombes » sous forme de propositions d'extension universelle, valant « une fois pour toutes » ( le principe de validité absolue ) et pour lesquels il s'avère possible de fournir une déduction garantissant leur légitimité dans la sphère inter-subjective :

« Conformément à l'essence de la science, il appartient donc au rôle de ses fonctionnaires d'exiger en permanence ou d'avoir la certitude personnelle que tout ce qui est porté par eux à l'énonciation scientifique soit dit « une fois pour toutes », que cela soit « établi », indéfiniment reproductible dans l'identité, utilisable dans l'évidence et à des fins théorétiques et pratiques ultérieures. » (Hüsserl, L'origine de la Géométrie)

C'est le propre de la science d'être un « titre pour des valeurs absolues intemporelles », pour des vérités absolument nécessaires, pour des vérités qui ne sont pas seulement dites, pensées, affirmées, ainsi que l'avance Hüsserl dans son Introduction à la Logique et à la théorie de la connaissance.

Au nom de la science et peut-être contre la science, pour le plus grand bien de la science, l'amorce d'une sortie hors du rien-dire scientifique, qui n'est qu'un mode parmi tant d'autres du bavardage considéré en sa pure généralité, vers un autre régime de connaissance, revêt un caractère d'urgence. L'urgence de la situation requiert rigueur, attention au dire et économie. Le phénoménologue est seul en mesure de satisfaire à ces requisits.

Qui ne ressent la nécessité d'un changement de régime de connaissance, au sein duquel les phénomènes s'offriraient tels qu'ils se trouvent à être réellement, au sein duquel notre ignorance se retournerait en connaissance, au sein duquel notre bavardage se retournerait en Parole et le Verfall en Assomption ? La phénoménologie critique, qui n'est pas sortie toute armée et casquée, telle Athéna, du cerveau de quelque verrue de faculté, nous précipite vers, ou plutôt, nous installe en cet autre régime de connaissance, que nous avons baptisé dans les Scories et ailleurs : objectiviste.

La phénoménologie critique en tant que canon ou propédeutique à la science - puisqu'elle n'est pas le système déployé de la science lui-même - nous donne accès à un monde par-delà notre monde, elle rend possible la sursomption de cette construction que nous appelons: monde, en un autre Monde, celui du savoir absolu.

La phénoménologie critique est une apocalypse de la nature ( Thomas Carlyle ), une subversion totale, l'ouverture d'horizons inédits, non ourdis : une « révélation du secret » - mais il s'avère que le secret n'en est pas tout à fait un.

La fin, le pourquoi de cet ouvrage est la position d' « idées directrices », de principes (Prinzip, Grundsatz) , lesquels nous donneront enfin les moyens d'accéder, par la voie insigne d'une phénoménologie bien entendue, au seul régime de connaissance acceptable. Le seul régime de connaissance acceptable, disons nous, car nous, amis de la science et ennemis du bavardage, ne saurions nous contenter de moins : un moindre bien compterait ici pour un mal ( Minus bonum habet rationem mali ). Au sein de ce régime de connaissance il s'avère possible de porter au langage ( zur sprache bringen ) les choses en leur essence ou quiddité sensible ( St-Thomas ), de mettre fin au Verfallen en tant que condition inéluctable d'une humanité qui « tourne en rond » autour d'elle-même.

Par voie de conséquence, cette phénoménologie critique, qui dépasse les cheveux dans le vent les intentions naïves de cette simple « ontologie de l'étant-là devant », en tant qu'elle nous fait ou laisse accéder au régime de connaissance au sein duquel les phénomènes peuvent être saisis en leur essence même, en leur concrétude, au seul régime de connaissance acceptable, se révèle être la doctrine fondementielle par excellence, la propédeutique à toute science comprise au sens prégnant du terme, et c'est bien pourquoi, en tant qu'elle fonde et rend possible quelque chose comme la scientificité, elle s'avère plus scientifique que la « science » elle-même.

À nous, et à nous seuls phénoménologues, revient la tâche d'arracher les hommes, en un effort zélé et presque exalté, au chuter au sein des objets, à l'abîmement dans le rien-dire scientifique, au Verfall, et d'orienter leur regard vers les étoiles. Le phénoménologue, en tant que fonctionnaire d'une humanité exilée, prend sur lui la responsabilité du mandat de l'être.

C'est en pantoufles et en robe de chambre que se parcourt le sentier de terre battue qui mène au rien-dire scientifique telle que l'entendent intellectuels et têtes de poules universitaires, c'est-à-dire au Verfall en tant qu'événement silencieux ( Stilles Eiregnis ) et désastreux par excellence ; c'est en vêtements cléricaux que tranquillement s'avance le solitaire Aufklärer - le phénoménologue - vers l'essence et par l'essence, vers le système de la science absolue et absolument déployée.

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Cinquième partie - Notes

  1. Qu'entendons-nous précisément par principe ? Principe procède de principium, le commencement. Principium : cela même à partir de quoi « quelque chose » se détermine quant à ce qu'il est. Quel est donc ce « quelque chose » ? La phénoménologie critique même. Principe : le fondement sur lequel « quelque chose » se tient, proposition fondamentale, ou encore fondementielle. Position de principes : position de l'ensemble des propositions fondementielles sur lesquelles repose la phénoménologie critique en tant que fondement des sciences.

  2. Nous taisons l'articulation de l'être-hors-de-portée ( Abhandenheit ) à la problématique de la temporalité. Voir à ce sujet : HEIDEGGER, Martin. Die Grundproblem der Phänomenologie [ Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie ]. Paris, Gallimard, collection Bibliothèque de philosophie, traduit de l'allemand par Jean-François Courtine, 1985, 410 pages.

  3. Sur le problème de l'abstraction croissante des représentations, du détachement croissant des représentations de leur fondement réique, voir le Cours de linguistique de Gustave Guillaume, année 1938.

  4. La totalité des objets en tant qu'ils s'avèrent exprimables selon leur être et leur être-tel ( ens in quidditate sensibili existens ).

  5. L'homme n'est « plus chez lui », il est étranger. En tant qu'étranger littéralement jeté en un monde devenu étrange, il n'est plus libre. Notons qu'Hegel, dans son cours d'Esthétique, établit un lien entre l'être ( ou le ne pas être ) chez soi et la liberté : « La loi générale [...] est que l'homme doit être comme chez lui dans le monde qui l'entoure, et que l'individualité doit apparaître comme acclimatée dans la nature et dans l'ensemble de sa situation extérieure, et donc comme libre. »

  6. Ces objets, en tant qu'ils possèdent un « caractère de connu » ( Charakter der Bekannheit, voir A. Riehl, Der philosophische Kritizismus, t. II, première partie ), une « qualité de connu » ( Bekannheitsqualität, voir H. Höffding, Ueber Wiedererkennen Assoziation und psychische Aktivität, Vierteljahrsschrift für wissenschaftliche Philos., t. XIII, p. 425 ), en tant qu'ils sont présupposés connus, ne sont pas réellement connus. La présupposition du connu a le caractère d'une Deckbild ( représentation-écran ; à ce sujet ADORNO, Wiesengrund Theodor. Jargon der Eigentlichkeit [ Jargon de l'authenticité ]. Paris, Payot, collection critique de la politique Payot, traduit de l'Allemand par Eliane Escoubas, 1989, 198 pages ) voilant le réel qu'il s'agit d'appréhender et de porter à « stance » dans la Parole.

  7. « L'absence de patrie qui reste ainsi à penser repose dans l'abandon de l'être [...] Elle est le signe de l'oubli de l'être. Par suite de cet oubli, la vérité de l'être demeure impensée. » [ Die so zu denkende Heimatlosigkeit beruht in der Seinverlassenheit des Seienden. Sie ist das zeichen der Seinsvergessenheit. Die ser zufolge bleibt die Warheit des Seins ungedacht. ] ( Martin Heidegger, Über den Humanismus )

  8. Mais toute science en tant qu'elle désire être véritablement science ne saurait se satisfaire de points de départ irréfléchis acceptés aveuglément comme tels. Prenons l'exemple des mathématiques et sciences subordonnées, dont le point de départ et leur base positive, la relation d'identité, constitue un terme premier, au mauvais sens du terme, un moment immédiat.

  9. Que l'on considère l'histoire de l'Art, ou encore la situation plutôt désespérante de l'Esthétique ou de la Christologie. Cette dernière, malgré les efforts de générations de chercheurs, n'a pas réussi à se constituer en science véritable. Il n'est pas certain qu'elle le puisse. Bien sûr, l'on retrouve le terme « science » dans les énoncés de titres de monographies et d'articles scientifiques intéressant la Christologie, mais une analyse sommaire de l'usage de la lexie montrerait qu'il s'agit là de simples intentions programmatiques et non de l'énoncé d'un état de faits, à savoir que l'on aurait affaire à de la « science » : la science christologique demeure un souhait. Étant donné l'échec de l'entreprise christologique, de son incohérence patente, tous les efforts en vue d'accroître la connaissance christologique devraient être suspendus mais non pas brutalement ignorés en une manière d'épochè jusqu'à la résolution du problème fondamental, celui de la détermination de la possibilité intrinsèque d'une chose telle que la Christologie, problème qui est lui lié au problème de la déterminabilité d'un objet tel que le Christ. La situation est d'un ridicule. Combien distingue-t-on de christologies aujourd'hui ? J. Hadot ( La formation du dogme chrétien des origines à la fin du IVè siècle ) en dénombre sept, soit trois christologies d'en-bas ( royale, prophétique, sacerdotale ) et quatre christologies d'en-haut ( Fils de l'homme, Christ au-dessus de tous les anges, Fils de Dieu, Verbe de Dieu ). Il en est assurément d'autres ( christologies féministes, christologies asiatiques... ). Ce serait faire preuve d'une impardonnable candeur théorique que de vouloir lier l'ensemble de ces « points de vue » en une synthèse substantielle et bien nourissante, sous prétexte que ces points de vue sont partiels - donc partiellement valides - et ne sauraient nous livrer la totalité de l'objet - donc prétendre à une validité absolue - ! L'histoire de l'Art, l'Esthétique, la Christologie - lesquelles ne donnent pas à l'esprit une pleine satisfaction, faute de procurer une évidence rationnelle, c'est-à-dire fondée en la saisie intuitive de l'être et de ses lois absolues -, du fait de leur incapacité à réfléchir sérieusement la relation du sujet à l'objectivité, du fait de leur incapacité à poser leur objet même, s'enfoncent en palabres, pour-parlers et en redites, ces derniers pouvant être définis sommairement comme « être-pour-autrui » de l'erreur et de l'illusion. Ces péripéties de la science contemporaine font songer au mot savoureux de Kant sur les difficultés qu'éprouvaient les juristes de son temps à définir leur objet, ou encore aux railleries d'un Schopenhauer sur le « manque de fondement » de l'éthique, situation qui perdure d'ailleurs : « Sans doute, il est décourageant de songer que l'éthique, une science qui intéresse directement notre vie, ait eu un sort aussi malheureux que la métaphysique même, cette science abstruse, et qu'après les bases posées par Socrate, après tant de travaux incessants, elle en soit encore à chercher son premier principe [...] Et c'est bien pour cela que les gros livres, les doctrines et les leçons de morale, sont aussi inutiles qu'ennuyeux. »

  10. Une étrange inquiétude parcourt les sciences: « Ainsi l'inquiétude dans les sciences dépasse-t-elle de beaucoup la simple incertitude de leurs concepts fondamentaux. On est inquiet dans les sciences et pourtant l'on ne peut pas dire pour quelle raison ni à quel sujet, en dépit des multiples discussions sur les sciences. » ( « Science et méditation » , in Vorträge und Aufsätze [ Essais et Conférences ]. Paris, Gallimard, collection Tel, traduit de l'Allemand par André Préau, 1980, 349 pages )

  11. « Le langage se livre bien plutôt à notre pur vouloir et à notre activité comme un instrument de domination sur l'étant. » [ Die Sprache überlässt sich vielmehr unserem blossen Wollen und Betreiben als ein Instrument der Herrschaft überdas Seiende. ] ( Heidegger, Über den Humanismus ).

  12. Articuler la nécessité de faire sauter la langue ( voir notre ouvrage intitulé Scories ), l'exigence d'un parler du dehors. Parler du dehors reviendrait en quelque sorte à « délier », à libérer la langue en vue d'une articulation plus rigoureuse de la pensée.

  13. « L'obligation d'une déduction, c'est-à-dire d'une démarche garantissant la légitimité d'une espèce de jugements, n'intervient que si le jugement prétend à une nécessité. » ( Kant, Critique de la faculté de juger )

  14. Tout théoricien aujourd'hui se doit d'être averti contre le « dogmatisme clos des systèmes qui sortent tout armés de la tête d'inventeurs solitaires, superbement ignorants de ce qui a été pensé en d'autres lieux ou d'autres temps. » ( Jean Starobinski, dans sa préface à l'ouvrage d'Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception )

  15. Le régime objectiviste est en opposition au régime de connaissance qui procède de la subduction du procès de connaissance à la figure du sujet.

  16. Essence et quiddité sensible ( quidditas sensibilis ) sont identifiés dans cet ouvrage. À ce sujet, St-Thomas d'Aquin, De ente et essentia, c.I : « Comme par ailleurs ce par quoi la chose est déterminée à son genre et à son espèce propre est ce que l'on signifie par la définition qui indique ce qu'est ( quid ) la chose, il en résulte que le terme d'essence est muté par les philosophes en celui de quiddité, quidditas [ quidditas sensibilis ] ; c'est aussi ce qu'Aristote appelle souvent le quod quid erat esse, c'est-à-dire « ce qui fait qu'une chose soit ce qu'elle est ».

  17. La phénoménologie critique nourrit cette ambition, qu'assurément certains contesteront et qu'il nous reviendra de justifier, d'être au fondement des sciences. Elle désire occuper cette position à partir de laquelle toute science, tout questionnement sur l'étant devient possible.

  18. Hüsserl, dans Introduction à la Logique et à la théorie de la connaissance : « La science ne fait pas qu'affirmer, la science veut convaincre; mais elle ne veut pas persuader, elle veut convaincre au moyen de fondements. La science n'avance rien au hasard, la science fonde. »

  19. En arrachant les hommes au chuter au sein des objets ( Verfall ) et en posant cet arrachement en tant que tâche morale, le phénoménologue du même coup proclame son être-au-monde, qu'il est lié et pour le monde. Le phénoménologue, celui qui Dit les choses telles qu'elles sont est joyeux dans la foule des hommes, se révèle lié à eux du fait de cette tâche morale, il est « amis de tous » : « Car l'hymne un jour est né sur les lèvres humaines / D'un souffle de paix, notre chant s'est prodigué, / Dans l'heur et le malheur réjouissant / le coeur de l'homme et depuis lors / Nous aimons, chantres du peuple, être auprès des vivants / Joyeux dans leur foule assemblée, amis de tous, / Ouverts à tous » ( Hölderlin, Timidité ).

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