La Phénoménologie Critique en tant que fondement des Sciences - Troisième Partie
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B. Exigence d'univocité
Une certaine clarté dans les ordres du concept et du discours, personne ne le niera, est une condition nécessaire à l'intelligibilité d'un ouvrage tel que celui-ci, qui se pique, peut-être à tort, de « scientificité ».
Mais il s'en faut de loin qu'elle en soit la condition suffisante.
Un effort supplémentaire est requis du philosophe, en tant qu'il désire se faire lire et se faire comprendre. Ce dernier veillera, quant à l'usage des concepts, à maintenir des significations univoques.
Une fois un concept posé et défini en tant qu'unité d'idéation, le philosophe veillera au maintien de l'ipséité du concept de manière à ce que ce concept, saisi ou itéré en un contexte discursif ou un autre possède la même signification ou compréhension. Un concept ne pourra posséder un sens en un endroit du texte, et un autre sens ailleurs. D'une multiplicité de significations assignées à un seul et même concept ( la « sémantique du bon plaisir » ), nous le savons, procèdent confusion et même non-sens.
Le maintien des concepts au sein d'une univocité salutaire est la marque du sérieux scientifique en acte.
C. Exigence de circonspection
Clarté conceptuelle et discursive ( A ) et univocité des concepts ( B ) sont choses souhaitables et même nécessaires en ces temps de détresse intellectuelle sans précédent, en ces temps de troubles, lesquels rendent possible et donnent suite au trouble, au « nébuleux » dans la sphère de l'Esprit. Lorsque s'y lie d'amour la circonspection, il est permis d'espérer de bien grandes choses.
Le phénoménologue est infiniment circonspect. La circonspection - le naturel, la conversation, les fréquentations recommandables n'y ont pas peu de part -, vertu morne et sombre, est un gage de véracité de la parole et de la conduite scientifiques. Ne rien avancer qui n'ait de fondement en raison et dans l'empirie. Refuser de suivre le fil, ce qui serait véritablement « perdre le fil », d'opinions extravagantes quoique piquantes, ces marchandises prohibées ( Kant ).
Une attention soutenue au contenu de la pensée tout autant qu'à sa forme.
Des considérations d'ordre éminemment phénoménologiques, telles celles abordées dans le présent ouvrage, imposent une certaine cruauté envers soi, une ascèse, une véritable constance dans l'abnégation, dans la retenue et dans la juste et amoureuse administration de mortifications bien assaisonnées, bref, une discipline sévère qui ne pardonne aucun écart.
Beaucoup de plaintes se sont élevées, tant de larmes ont été versées, au sujet d'une certaine perte de tension, de rigueur, de la pensée philosophique contemporaine, qui trop souvent verse dans le radotage en charriant derrière elle les lieux communs nigauds d'une certaine philosophie spontanée, bonhomme guimauve de la pensée auquel notre astucieuse, entreprenante et toujours perspicace philosophie universitaire croit échapper par des excès de pédanterie qui, en bout de ligne, la couvrent de ridicule. Cette perte de tension - il s'agit là d'une hypothèse - ne pourrait-elle pas être attribuée à un défaut de circonspection, de discipline, bref, à une perte du sens de la vérité en tant que visée d'un impardonnable travail sur soi-même ?
Lorsqu'un exposé scientifique se révèle n'être pas rigoureusement conséquent, mais tout simplement honnête, lorsqu'au sein de cet exposé, par exemple, des considérations purement hypothétiques se voient mélangées - suivant le bon plaisir de l'auteur - à des considérations apodictiques et se prévalent sans rougir du même statut, bref, lorsqu'un exposé manque de circonspection, de retenue, alors il est permis d'affirmer que l'auteur d'un tel exposé n'aura pas su assez souffrir.
Troisième Partie - Notes
La clarté, certes, est chose désirable. Par contre, l'on apprendra à se méfier de ces ouvrages trop clairs qui, charriant une matière indigente, ou charriant sans esprit une matière surabondante, ne donnent pas à penser. L'intelligibilité de tels ouvrages est un renvoi vers la pauvreté d'auteurs assimilant clarté et vide de pensée.
Certains préféreront au terme de circonspection celui de prudence ( Klugheit ) ou de perspicacité ( Schafsinn ).
Le manque de circonspection dans l'ordre de la théorie est ce que l'on nomme communément niaiserie ou sottise.
Montaigne: « Comme nostre esprit se fortifie par la communication des esprits vigoureux et reiglez, il ne se peut dire combien il perd et s'abastardit par le continuel commerce et fréquentation que nous avons avec les esprits bas et maladifs. ».
« On voit ainsi que l'oeuvre philosophique, surtout quand elle est proprement métaphysique, requiert une technique de l'intelligence rigoureuse et difficile à acquérir. Il y faut un effort persévérant et une pénible abnégation à l'égard du matériel imaginatif, une sorte d'ascèse intellectuelle. Cela est nécessairement rare, comme tout ce qui est difficile. Et de là vient que, faute de cette longue et dure préparation, les certitudes philosophiques et métaphysiques sont sans force sur beaucoup d'intelligences. » ( JOLIVET, Régis. Traité de philosophie. Paris, Emmanuel Vitte, 1955, Tome I, p. 34 )