La Phénoménologie Critique en tant que fondement des Sciences (2)

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4 years ago

La Phénoménologie Critique en tant que fondement des Sciences - Deuxième partie

Lien vers la première partie: https://read.cash/@Enforsys/la-phenomenologie-critique-en-tant-que-fondement-des-sciences-1-dd9bcc6a

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Préface

"O wüsst ich doch den Weg zurück." (Johannes Brahms, Op. 63, No. 8)

"Ah! Je suis las de cette errance!" (Goethe, Wanderers Nachlied I)

L’aisance dans le parler pavane et s’affirme bien souvent, sans honte, en tant qu’aisance de qui n’a pas « grand chose à Dire ».

Ce parler aisé se démultiplie en syntagmes indigents et par là se pose et s’impose, d'impasses en impasses, comme bavardage.

Au contraire, celui qui véritablement a quelque chose à Dire parle peu, et bienheureux celui qui aura réussi à lui soutirer quelques mots gros de la substance de son silence.

Ce silence n’est pas celui qui installe les convives, à bout de « sujets », dans un embarras qui ne sera brisé que par l’irruption dans le champ de l’attention momentanée d’un nouvel objet dont ils se saisiront avec force soupirs de soulagement.

Ce silence est d’une nature telle que les bavards peinent à le concevoir: ce silence, qui précède et clôt l’immanence du Dire, est le fracas du concept, le penser figé en un effort nerveux soutenu, dans l’effort de réflexion le plus exigeant. Ce penser se tient comme compact en lui-même - et c’est pourquoi le plus souvent il se refuse à la parole -, les gesticulations du non-penser qui par principe interne se retourne en bavardage ou pire, en Jargon, lui sont étrangères.

Ce penser est le bloc de marbre qui ne vacille jamais, la Vénus qui de ses yeux durs fixe le bavard et l’intime à la paix. Ce penser est perfection immobile, ataraxie.

Lorsque le phénoménologue Parle, lorsqu’il consent à se poser en face de son haeccitas et à briser son silence pour Dire les choses telles qu’elles sont et par-là même nous convier en un chemin de pensée, nous pouvons être sûrs que l’heure est grave.

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La mouture initiale de cet important ouvrage de jeunesse, ouvrage rédigé dans les pires conditions et publié à la diable l'été de nos vingt ans, s'est avérée être un confus « désastre » éditorial, tant au point de vue de la présentation que de la matière. Mais qu'importe. Cette édition nouvelle et augmentée, qu'humblement nous présentons à un public qui au cours des ans s'est avéré compréhensif, et combien, se veut définitive.

Nous tentions à l'origine, par le biais d'un Dire rigoureux, clair, précis dans son univocité et surtout circonspect, de poser les fondements d'un « régime » de connaissance nouveau ( que nous opposions jadis de façon sommaire à celui qui procède de la « métaphysique moderne de la subjectivité » ) au sein duquel notre rapport problématique aux objets, donc à nous-mêmes, serait à même d'être sursumé.

Cet ouvrage est toujours d'actualité.

Il n'est qu'à survoler les grands quotidiens ou à compulser la presse spécialisée pour se convaincre de ce que nous entretenons et trop souvent nous satisfaisons d'un commerce (commercium) douteux et embarrassé avec les objets du « monde de la vie ».

La résolution du plus important problème « méthodologique », soit celui de la position d'un fondement sur lequel puissent être érigées la Vérité et les Sciences, les Sciences dans leur vérité et véri-dicité (celles-ci sont actuellement engagées sur le chemin du Doute, Zweifel , et du Désespoir, Verzweiflung ), définies selon leur position, leur fonction dans l'édifice de la science, leur « région d'objet » et leurs formes de judication, telle est la tâche de cet ouvrage.

Un certain nombre d'idées fortes, telles l'autonomie ontologique absolue de l'être-en-soi du Réel et la prééminence du Réel (ces idées nous viennent de Kant), de l'objet, au sein des procès de constitution du percept et du concept, ont été précisées. Le chercheur, le philosophe de profession, ne trouveront certes pas en ces modestes pages un ouvrage d'érudition. Que l'estimable studiosité du public daigne accueillir encore une fois les maigres efforts d'un penser continuellement soucieux de se rendre moins odieux par des œuvres utiles quoique trop timides en leurs médiocres avancées.

« Suscipiat ergo studiositas tua praesentis expositionis munus exiguum, ex quo si profeceris, provocare me poteris ad maiora. »

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A. Exigence de clarté

Un ouvrage scientifique obscur, hermétique, à la fois aux niveaux conceptuel et discursif, est et demeurera à jamais un ouvrage scientifique non-lu et, conséquence immédiate et à vrai dire nécessaire, non-discuté.

Nous désirons, bien évidemment, que cet ouvrage de science philosophique soit lu, et non simplement parcouru pour ainsi dire en quatrième vitesse, par nos savants collègues et devienne dans la sphère publique d'appropriation et de réappropriation objet de discussion - et non de bavardage... le plaisant, le brillant verbiage qui prendra pour cible, pour objet cet ouvrage nous fera assurément, amèrement, regretter des années de patient et silencieux labeur -.

Dès lors s'imposait à nous un devoir, le plus haut: celui de rédiger le tout en une langue claire - donc inutile de « cuisiner » le lecteur à coups de terminologie incompréhensible, de lui donner l'envie irrépressible de disparaître sous la table ou derrière les rideaux (le plus grand tort des philosophes est de croire que les ouvrages de philosophie sont destinés à d'autres philosophes).

Notre tâches nous ordonnait de mettre de côté le flou ( le Verschwommenheit ), l'orgueil et les figures trop complexes qui ne font qu'obscurcir le propos et rendent difficultueuse la lecture, de développer nos arguments en délaissant le ton, le style, la magie verbale voire la profondeur d'un Hegel - par exemple -, profondeur en tant qu'immense nuit du pur sombrer dans l'abîme langagier, pour adopter un autre ton, celui, réservé, modeste, serein et prudent, à vrai dire kantien, de la Raison sûre mais non imbue d'elle-même et de ses moyens, le ton de la Raison avant tout désireuse de rendre compte de ses transparents desseins.

Nos fidèles lecteurs se réjouiront de la clarté du présent ouvrage, à tous égards.

S'il est quelque difficulté, elle tiendra à la matière elle-même, et non à la manière - au mode d'exposition ou d'écriture.

Que l'on prenne pour exemple notre théorie de l'imagination, qui est en fait une esquisse analytique, un travail préparatoire en vue d'une théorie à venir, à joindre en une synthèse constructive au tout de la phénoménologie critique.

L'exposition claire de la formation d'une variante imaginative ( ou autrement et peut-être mieux dit, d'une imaginification : le suffixe est un renvoi vers le caractère de procès de la formation des variantes imaginatives ) ne saurait rien changer au fait qu'il s'agit là d'un problème des plus épineux, difficile à saisir.

Première Partie - Notes

  1. C'est une erreur de méthode répandue que celle qui consiste à installer sur une chaise le conceptuel, ce qui relève de la pensée, et sur une autre chaise le discursif, ce qui relève de l'expression. O ludicram doctrinam, aedificantem simul et demolientem. La seule approche valable, en ce qui concerne l'usage de ces concepts, est une approche dialectique, dialogique : ces deux termes qu'un dualisme irréfléchi aimerait préserver purs et définir comme pôles à sursumer de temps à autre en une unité plus substantielle et nourrissante, soit la pensée exprimée par ou dans le discours, se médiatisent l'un l'autre sans jamais se confondre. Le conceptuel n'est que par le discursif, et inversement. Ce en quoi ces termes peuvent être dits, suivant l'usage de cette ancienne scolastique aux yeux perçants, syncatégorématiques. Ni l'un ni l'autre ne sauraient prétendre à quelque auto-stance que ce soit ; mais vaut tout aussi bien la proposition selon laquelle ni l'un ni l'autre ne sauraient être tout simplement et sans autre forme de procès confondus. Nous n'affirmons là rien de nouveau : les littéraires, les poétologues en particulier, insistent depuis belle lurette - mais bien évidemment, personne ne leur prête attention, à ces croûtes - sur l'unité, tendue entre ses moments, de ce que nous devrons dans cet ouvrage nous résoudre à nommer forme et fond. Ce que nous avançons au sujet du caractère syncatégorématique de ces notions rejoint la critique, toujours actuelle, qu'Adorno ( « L'essai comme forme » in ADORNO, Wiesengrund Theodor. Notes sur la littérature. France, Flammarion, collection Champs, 1984, p.8 ) adresse aux positivistes quant à leur doctrine de la séparation protocolaire, à saveur vaguement « administrative», du fond et de la forme : « Selon l'usage positiviste, le fond, une fois fixé selon le protocole du modèle primitif, doit être indifférent par rapport à sa présentation ; celle-ci doit être conventionnelle et non pas résulter d'une exigence propre à la chose, et, pour l'instinct du purisme scientifique, tout mouvement expressif de la présentation menace l'objectivité qui surgirait brusquement, une fois le sujet éliminé, et du même coup la solidité de la chose, qui serait d'autant plus établie qu'elle compterait moins sur l'appui de la forme, bien que celle-ci ait précisément pour norme de donner la chose purement et sans rien y ajouter. Par son allergie aux formes, qu'il considère comme de simples accidents, l'esprit scientiste est proche de l'esprit dogmatique borné. »

  2. Un ouvrage ne peut être dit scientifique qu'en tant qu'il appelle l'interprétation et la discussion. Voir KOSIK, Karl. Die Dialektik des Konkreten [ La dialectique du concret ]. Paris, F. Maspero, traduit de l'allemand par Roger Dangeville, 1978, p. 138 et 139.

  3. Concernant la forme de cet ouvrage, rappelons-nous du fameux mot de Walther Bulst : « [...] jamais aucun texte n'a été écrit pour être lu et interprété philologiquement par des philologues » ( « Bedenkens eines Philologen » [ Les inquiétudes d'un philologue ], in Studium Generale, 7, p. 321-323 ).

  4. « La profondeur est le symptôme d'un chaos que la vraie science veut transformer en un cosmos, en un ordre analysé, simple, absolument clair. La vraie science, aussi loin que s'étende sa doctrine effective, ignore la profondeur. » ( À ce sujet : HÜSSERL, Edmund. Philosophie als strenge Wissenschaft [ La philosophie comme science rigoureuse ]. Paris, Presses Universitaires de France, collection Épiméthée, traduit de l'allemand par Marc B. de Launay, 1998, p.83 )

  5. L'opposition entre matière et mode d'écriture ne saurait être rigide. Il s'agit à chaque fois de recréer le sens de cette opposition.

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